
Madagascar : une communauté d’entrepreneurs engagés contre la pollution plastique
Du 30 avril au 2 mai 2024, Plastic Odyssey a organisé sa 26ᵉ session de l’OnBoard Laboratory à Toamasina, principal port de Madagascar, sur la côte est de l’île. Pendant trois jours, des entrepreneurs venus de la capitale Antananarivo, d’Antsirabe, et de la région de Tamatave ont participé à des échanges pratiques autour du recyclage plastique et de l’économie circulaire.
26ᵉ édition de l’OnBoard Laboratory – Toamasina, mai 2025
Certains d’entre eux faisaient déjà partie de la communauté Plastic Odyssey depuis plusieurs années ; pour d’autres, ce fut une première prise de contact concrète avec les outils, les machines et les retours d’expérience partagés à bord du navire.
Le contexte local est particulièrement difficile : Madagascar est l’un des pays les plus pauvres au monde.
- 80 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour ;
- Seuls 10 % des Malgaches ont un emploi formel ;
- 15 % ont accès à l’électricité (6 % en zone rurale) ;
- Et seulement 28 % des ménages disposent de l’eau courante.
Présentation des entrepreneurs

Modeste Heriniaina Rafanomezantsoa – R’art Plast
Né au sein de l’incubateur Hanavao (Rubis Incubateur) à Antananarivo, R’art Plast est un projet fondé en 2020 par cinq jeunes issus de quartiers défavorisés, animé par un même objectif : transformer les déchets plastiques en objets utiles et porteurs de sens.
Leur spécificité ? Allier artisanat, design et impact social. En collaboration avec des designers comme Alexandre Echasseriau, ils créent des objets du quotidien: tabourets, lampes, vide-poches, tuiles, pavés à partir de plastique recyclé. Mais pas n’importe comment : l’équipe de R’art Plast a su intégrer trois techniques de transformation du plastique, leur offrant une grande souplesse dans les productions :
- Polyfloss (barbe à papa de plastique PET et PP),
- Thermocompression, en utilisant des moules préchauffés
- Injection manuelle avec une presse Precious Plastic,
Parmi leurs réalisations phares figurent des sacs et des tapis en laine de plastique issus de la fibre Polyfloss, développés avec le soutien de The Polyfloss Factory. Le projet s’inscrit dans une logique de production artisanale, ce qui leur permet une forte flexibilité tout en maintenant une exigence de qualité.
Les matières premières proviennent principalement de la décharge locale, via l’achat direct de plastique auprès de collecteurs informels, une démarche qui génère un impact social immédiat. Depuis peu, R’art Plast collabore également avec la Star, pour la collecte de leurs déchets et la vente directe de produits recyclés à cette entreprise, fermant ainsi une boucle locale de valorisation.
Du 30 avril au 2 mai, à l’occasion du programme OnBoard Laboratory organisé à bord du navire Plastic Odyssey à Tamatave, Modeste a pu renforcer ses connaissances techniques et bénéficier de nouvelles mises en réseau. À la suite du programme, une partie de l’équipe Plastic Odyssey s’est rendue à Antananarivo pour visiter l’atelier de R’art Plast et favoriser de nouvelles synergies.
Parmi les temps forts : une visite commune avec Modeste à l’usine textile Ultramaille, qui emploie près de 1 000 salariés. L’objectif : explorer des débouchés pour la fibre en plastique recyclé produite par R’art Plast, notamment dans les secteurs du textile et de l’ameublement. Une première étape vers un passage à l’échelle et une plus grande structuration industrielle du projet.

Ystalien Wang Kine Samaro – Recycl’anay
Implanté à Toamasina, Ystalien porte depuis 2017 le projet Recycl’anay, une initiative communautaire qui allie revalorisation des déchets, sensibilisation et engagement citoyen. Les premières activités du collectif étaient centrées sur la fabrication artisanale d’objets à partir de matériaux recyclés : papier transformé en bloc-notes, plastique en bijoux, ou encore biodéchets en compost. Ces premières actions leur ont permis de sensibiliser la population locale tout en expérimentant la création de nouvelles filières.
Au fil des années, Recycl’anay a évolué pour devenir un acteur clé de la sensibilisation environnementale à Toamasina, notamment grâce à de nombreux partenariats, dont un particulièrement actif avec l’Alliance Française. Ils mènent aujourd’hui des campagnes de sensibilisation dans les écoles, organisent des événements de nettoyage, et accompagnent d’autres porteurs de projets autour du recyclage et de l’économie circulaire.
Parmi leurs nouvelles idées figure la création d’un système de lombricompostage à base de plastique recyclé, combinant ainsi leurs compétences en traitement des biodéchets et en fabrication. Leur ambition est désormais claire : passer à une échelle semi-industrielle, structurer une filière locale de recyclage, et faire de Recycl’anay une véritable plateforme d’engagement pour la jeunesse malgache. Un lieu où l’on apprend, où l’on agit, et où le déchet devient ressource.

Johann Pless – STCV (Solutions de Tri, Collecte et Valorisation)
STCV est une entreprise fondée par Gaël, franco-malgache, en 2022 à Antananarivo. Depuis, son mari Johann Pless l’a rejoint comme développeur commercial, pour structurer et étendre les activités, tout en accompagnant la transition du secteur privé vers une gestion plus responsable des déchets. Parallèlement, Johann est engagé au sein de la fédération hôtelière malgache, où il contribue aux efforts de réduction du plastique dans le tourisme.
Les débuts de STCV ont été marqués par une tentative ambitieuse de gestion des bennes à ordures municipales, un projet rapidement abandonné face à sa complexité. L’équipe s’est alors recentrée sur une cible plus accessible : les entreprises industrielles. Elle leur propose aujourd’hui des formules d’abonnement pour la collecte de déchets (plastiques, cartons, piles, etc.), accompagnées de certificats de traitement, utiles dans une logique RSE.
Chaque mois, STCV collecte et traite environ 20 tonnes de plastiques souples et 15 tonnes d’autres déchets, principalement du papier et carton, revalorisés sous forme de briquettes écologiques pour le feu. Le plastique, quant à lui, est lavé manuellement, puis broyé à 25 kg/heure. L’entreprise fabrique également quelques produits en sacs tressés, à partir de matières recyclées.
Conscients du manque d’acheteurs (« offtakers ») locaux pour la matière recyclée, Johann et Gaël souhaitent développer de nouvelles solutions de transformation, afin de créer de la valeur à Madagascar même. Une application mobile inspirée d’un modèle libanais (Beyrouth) a aussi été testée pour inciter les ménages à trier leurs déchets, mais son adoption reste encore marginale.

Pieter Vranckx – Omni Verdi
Pieter Vranckx, ingénieur belge installé à Toamasina, est un entrepreneur passionné par la transition écologique. Après avoir travaillé pendant 15 ans au Brésil sur des projets de reboisement, il arrive à Madagascar avec la volonté de poursuivre cette mission environnementale. Il commence par commercialiser des pots de pépinière biodégradables et s’engage dans des actions de conservation forestière.
Face à la pression croissante sur les ressources en bois, il réfléchit à des solutions de substitution durables, notamment à travers l’utilisation du plastique recyclé. C’est dans cette optique qu’il lance la construction d’une usine à Toamasina, dédiée à la fabrication de mobilier à partir de plastique recyclé par extrusion-compression.
Son objectif est ambitieux : atteindre une capacité de traitement de 5 tonnes par jour. Pour cela, il a déjà investi dans une ligne complète d’équipements industriels :
- Trois broyeurs ;
- Deux extrudeuses pour composites et une ligne d’extrusion directe ;
- Deux presses hydrauliques de 60 et 200 tonnes avec des moules pour planches de 125 x 30 cm ;
- Un système de lavage des déchets plastiques.
Il a également fait concevoir des moules spécialisés pour la production de mobilier scolaire : tables (25 x 60 cm) et chaises (23 x 30 cm), destinées à l’export et aux ONG locales. À terme, l’unité d’extrusion-compression devrait produire jusqu’à 2 tonnes de planches recyclées par jour, utilisables pour des clôtures, du mobilier ou des constructions pour les foyers modestes.
Pieter souhaite aussi travailler sur des applications innovantes, comme la fabrication de boîtes pour l’élevage de larves de mouches soldats noires (black soldier fly), en kits démontables. Il explore par ailleurs le recyclage de déchets plastiques contenant de l’aluminium, un flux aujourd’hui peu traité dans le pays.
Enfin, il a mené une expérimentation de four solaire à Tuléar pour fondre les plastiques souples — capable de traiter 200 kg/jour —, un prototype qui restera en phase pilote, mais témoigne de son inventivité et de sa capacité à innover localement.

Toki Rabefiringa – Technopet & CMP
Toki Rabefiringa est responsable de l’organisation, de la production et de la qualité chez Technopet, une entreprise basée à Antananarivo et spécialisée dans la fabrication de préformes en PET destinées à l’embouteillage.
Technopet est lancé en 2009, avec une capacité de production préforme de PET de 80 tonnes par an. En 2018, Technopet franchit un cap stratégique en investissant 2 millions de dollars, permettant de multiplier sa capacité par 30, pour atteindre 2 500 tonnes par an. Dans un marché local encore largement dominé par les importations et assez technique du à la nécessité d’obtention du grade alimentaire (6 500 tonnes de préformes PET venues de Maurice chaque année), Technopet mise sur la production locale.
Conscient de l’enjeu environnemental et des opportunités liées à l’économie circulaire, Toki initie fin 2023 un système de collecte de déchets plastiques PET, en priorité post-industriels. En quelques mois, 170 tonnes de PET sont récupérées, partiellement exportées, dans l’attente de solutions locales de valorisation.
Dans la foulée, une société sœur baptisée CMP est créée en 2024, pour étendre les capacités de transformation :
- Soufflage des préformes PET pour produire des bouteilles prêtes à l’emploi ;
- Injection de produits en HDPE (gobelets, bassines…) ;
- Début d’une activité de valorisation plastique, avec 5 tonnes collectées et recyclées dès la première année.
Toki ambitionne désormais de passer à 25 tonnes par mois, en développant des filières de tri plus fines (par couleur, notamment) et en élargissant la collecte au post-consommation, encore peu structuré à Madagascar.
Lors de l’Onboard Laboratory, Toki a proposé de mettre à disposition une partie de son équipement en sous-utilisation, notamment des broyeurs dormants 2 à 3 jours par semaine, pour soutenir des initiatives partenaires ou des projets pilotes dans le pays.

Zo RABETRANO – Adonis
Zo Rabetrano est directeur régional de l’entreprise Adonis, acteur majeur du traitement des déchets hydrocarburés à Madagascar. Avec plus de 130 employés répartis entre Tananarive (100 personnes sur un site de 3 hectares) et Tamatave (30 employés), l’entreprise dispose d’une infrastructure industrielle avancée, incluant sept camions ateliers mobiles sillonnant l’île pour assurer des opérations de nettoyage dans les zones les plus reculées.
Adonis assure la collecte et le traitement des effluents hydrocarburés issus d’activités industrielles et pétrolières : nettoyage de stations-service (près de 340 sur l’île, dont 90 % sont traitées par Adonis), de bacs de stockage, de garages, de navires (MARPOL) et autres infrastructures exposées. À Tamatave, une station de décantation permet une première séparation des boues. Les déchets sont ensuite acheminés vers le centre de traitement de Tana, où un processus thermique permet de séparer les fractions d’hydrocarbures.
Le fuel lourd est revendu aux usines équipées de chaudières industrielles, constituant une part rentable de l’activité, tandis que les sédiments et eaux hydrocarburées sont traités via des procédés biologiques. Un incinérateur aux normes complète le dispositif.
Depuis quelque temps, Adonis est confronté à une demande croissante de traitement de déchets plastiques, notamment de la part de ses clients industriels (garages, stations-service, usines…). Cette demande entrante l’amène à explorer de nouvelles solutions, notamment la pyrolyse. En effet, aujourd’hui, Adonis broie certains de ces déchets plastiques (issus des garages notamment) et les revend, principalement à Tana ou à l’étranger, mais la volonté est claire : développer une solution locale de traitement plus complète et circulaire.
En parallèle, un projet pilote est en cours de réflexion sur la côte Est de Sainte-Marie, en partenariat avec CetaMada, pour valoriser les déchets plastiques échoués. Adonis voit dans la pyrolyse une piste sérieuse pour répondre aux besoins de ses clients industriels, notamment les 20 usines malgaches utilisant du fuel lourd, telles que Castel (sodas, bières) ou les usines textiles, qui génèrent une quantité non négligeable de déchets plastiques non conformes (PET, PEBD…).
Avec son ancrage industriel, sa capacité logistique et son réseau étendu de clients, Zo Rabetrano porte un projet de diversification vers le recyclage plastique qui pourrait transformer durablement le paysage du traitement des déchets à Madagascar, en comblant un vide structurel, au-delà du seul PET.

Tohnny ANDRIANTIANA – Diotontolo
Tohnny Andriantiana est le fondateur de Diotontolo, une structure engagée pour un environnement plus propre – comme son nom l’indique en malgache. Créée en 2017 en partenariat avec le Gret, l’initiative s’est rapidement imposée comme un acteur majeur de l’assainissement écologique à Madagascar, avec un objectif simple mais fondamental : améliorer les conditions sanitaires des populations.
En l’espace de quelques années, Diotontolo a installé plus de 10 000 toilettes hygiéniques à travers le pays. Leur modèle combine une structure en béton avec des équipements sanitaires (chasses, cuvettes…) principalement importés, ce qui reste un frein économique et logistique pour un déploiement à plus grande échelle.
Conscient des limites de ce modèle, Tohnny s’intéresse depuis un an à l’intégration du plastique recyclé dans ses solutions sanitaires. Avec son équipe, il a commencé à expérimenter de manière artisanale la fusion de plastiques PET et PEHD pour produire des éléments de latrines, avec pour ambition de concevoir une alternative locale, économique et durable aux équipements importés.
Cette transition vers le recyclage plastique appliqué à l’assainissement pourrait marquer une nouvelle étape pour Diotontolo, en renforçant la résilience de leur modèle économique tout en valorisant des déchets aujourd’hui peu ou mal pris en charge. Le programme OnBoard Laboratory est tombé à point nommé pour Tohnny Andriantiana, en lui permettant une acculturation rapide aux différentes techniques de recyclage plastique.

Mihajasoa Faly – Madacompost
Créée en 2010, Madacompost est une entreprise spécialisée dans la gestion des biodéchets. Elle compte aujourd’hui 110 employés répartis sur quatre sites à Madagascar. L’entreprise est le projet phare à Madagascar de plusieurs, comme le GRET ou la Fondation GoodPlanet. Madacompost propose un service de collecte de déchets à domicile, auprès des ménages et des entreprises. Les déchets sont triés à la source entre biodégradables et non biodégradables, puis ramassés d’abord par des agents à pied, ensuite récupérés par camion.
Côté traitement, Madacompost valorise les biodéchets en fonction des cultures agricoles locales : compost, lombricompost, farine de crustacé, corne de zébu… Elle produit aussi du biocombustible à base de papier, carton ou sciure de bois.
Depuis quelques années, Madacompost expérimente aussi le recyclage du plastique souple pour fabriquer des pavés. La technique, encore artisanale, utilise un mélange de plastique, sable et huile de vidange. Environ 50 tonnes sont traitées chaque année par une équipe d’une dizaine de personnes.
L’entreprise a aussi une forte dimension sociale, en créant des emplois pour des personnes en difficulté, et suit de près son impact environnemental à travers un suivi carbone. Elle revend même une partie de ses crédits carbone qui représente la majorité des revenus de l’entreprise.
Selon leurs données, 8 % des déchets ménagers sont composés de plastique, ce qui renforce leur intérêt pour élargir leurs activités de recyclage. La participation à l’OnBoard Laboratory a été l’occasion pour Mihajasoa de découvrir de nouvelles techniques de valorisation et d’imaginer des façons d’améliorer leur atelier actuel, voire de passer à une échelle plus structurée.

Fabbie Razafindrabe – GRET
Fabbie Razafindrabe est venu représenter le GRET, une ONG française active depuis longtemps à Madagascar, notamment sur les sujets d’environnement, de développement local et de gestion des déchets.
Le GRET accompagne déjà plusieurs initiatives, dont Madacompost, l’un de leurs projets phares dans le domaine des biodéchets. Aujourd’hui, Fabbie s’intéresse de plus en plus à la filière plastique, avec l’idée de pouvoir soutenir à l’avenir des porteurs de projets de recyclage.

Zina RAMINOSONA – Andao Company
Zina a créé Andao Company en 2023 avec l’idée de transformer du plastique recyclé en mobilier scolaire. Depuis son petit atelier à Antananarivo, son équipe d’une trentaine de personnes fabrique des chaises et des tables à partir de plaques moulées en plastique fondu. Environ 500 kg de plastique sont revalorisés chaque mois.
Le projet fonctionne grâce au mécénat local : des entreprises financent du mobilier pour des écoles, ce qui permet à l’atelier de tourner tout en répondant à un vrai besoin.
Avant de lancer son entreprise, Zina suivait déjà de près Plastic Odyssey. Il récupérait des infos, des plans de machines, et s’inspirait des projets partagés en ligne. L’étape du bateau à Tamatave a été l’occasion de tester ses idées, d’échanger avec d’autres porteurs de projets, et de structurer un peu plus son activité. La suite ? Continuer à produire localement, améliorer les finitions, et pourquoi pas développer une gamme de mobilier design.
Dans ce cadre compliqué, l’OnBoard Laboratory a permis de créer des synergies fortes entre acteurs locaux, de partager des solutions adaptées au contexte malgache, et de faire émerger des idées concrètes. Plusieurs participants ont depuis candidaté à des appels à projets régionaux pour financer les nouvelles étapes de développement de leur initiative.

OnBoard Laboratory, notre programme d’incubation à bord du navire pour les entrepreneurs du recyclage
À chaque escale de l’expédition, le navire Plastic Odyssey accueille à bord plusieurs entrepreneurs locaux du recyclage pour échanger et développer des solutions concrètes pour lutter contre la pollution plastique.