
Comores : un archipel en quête de solutions durables pour ses déchets
Alors que la gestion des déchets reste un défi colossal dans l’archipel des Comores, le navire Plastic Odyssey a jeté l’ancre à Mohéli, Grande Comore puis Anjouan pour des escales de terrain. Pendant plusieurs jours, des entrepreneurs, associations, collectivités et ONG se sont réunis à bord à Mustasmudu pour la 28ᵉ édition du programme OnBoard Lab. Une immersion dans un territoire où tout reste à inventer, mais où les premières briques d’une économie circulaire locale commencent à se poser.
Des décharges à ciel ouvert, faute d’infrastructures
Sur les trois îles principales la gestion des déchets est encore largement informelle. Faute de collecte structurée et même souvent de zone dédiée comme dépotoir, les déchets sont brûlés ou abandonnés dans des zones improvisées, parfois au bord des routes ou du littoral.
Face à cette absence de service public, des collectifs de citoyens et d’associations prennent le relais. Des associations villageoises s’occupent bénévolement de la gestion des déchets en les collectant à intervalle régulier et vont jusqu’à collecter directement une redevance auprès des foyers pour financer le carburant de leurs véhicules.
Présentation des entrepreneurs

Mahfouz Ben Ali Saindoune – Secrétaire générale de l’association Voija Voija à Mirontsy (Anjouan)
Fondée par des jeunes de 15 à 20 ans, l’association compte maintenant 30 membres organise des collectes hebdomadaires depuis 2015. Commençant par collecter les déchets gratuitement, certains habitants leur offraient l’essence pour les encourager à continuer. La mairie a fini par leur léguer le camion de collecte qui est vite tombé en panne mais ils ont grâce à un système de contribution volontaire pu acheter un nouveau camion d’occasion. Pour payer leur essence, ils font payer 150 francs (30 centimes d’euro) le sac de riz rempli de déchets aux habitants lors de la relève. Tous les membres sont bénévoles, et l’association mêle désormais collecte, animation et projets artistiques autour des déchets.

Mohamed Abdou – AJDEM Association des Jeunes pour le Développement et l’Environnement de Monimoimdji
À Fomboni (Mohéli), son association fondée en 2019 collecte bénévolement les déchets de 580 ménages en leur proposant un tarif de 2€/mois. Ils passent trois fois par semaine grâce à un camion (financé par l’AFD), 3 moto-bennes (financées par l’ambassade de Turquie) et une équipe de 5 personnes légèrement indemnisés qui travaillent main dans la main avec la trentaine d’autres membres de l’association. Sans site d’enfouissement désigné et mis à disposition par la mairie, les déchets finissent sur un terrain sauvage. Malgré cela, l’équipe poursuit sa mission, mettant à disposition son matériel de gestion des déchets à d’autres associations communautaires rassemblées dans la KADEF et tire ainsi vers le haut la gestion des déchets à Fomboni. Ils ont été formés par l’association malgache Madacompost aux compostage des biodéchets mais faute de viabilité, le projet n’a pas perduré.

Mariama Abdallah – AFAM
L’Association Femmes Actives de Mutsamudu (Anjouan) joue un rôle moteur à l’échelle locale. En faisant appelle à la diaspora et en répondant à des appels d’offres, elle a réussi à financer deux camions et deux moto-bennes mis à disposition de la mairie dans la gestion pour les soutenir dans la gestion des déchets de la ville. C’est également l’AFAM qui est à l’initiative de l’ouverture de la première décharge officielle de la ville. Avec 120 membres dont de nombreux membres de la diaspora, elle mène également des campagnes de collecte de fonds en organisant des événements pour pérenniser des actions.

Anrifa Ali Said – Mon Pays la Propreté
Installée à Vouani, sur l’île d’Anjouan, Anrifa Ali Said porte un projet naissant dans un village où aucune association communautaire de gestion des déchets n’est encore en place. La situation locale est critique, marquée par une accumulation visible des déchets et l’absence de solutions structurées.
Motivée par l’urgence et le désir de changer les choses, Anrifa participe au programme OnboardLab avec l’objectif de créer une association viable dans son village. Elle a pu s’inspirer des parcours de Mahfouz, Mariama et Mohammed, des pionniers de la gestion communautaire, pour apprendre de leurs réussites comme de leurs erreurs. Ce partage d’expériences lui permet de poser les premières bases concrètes de son initiative en vue d’une future organisation communautaire à Vouani.

Hissani Adelaide – ANGD
Représentante à Mohéli de l’Agence Nationale de Gestion des Déchets (ANGD), Hissani Adelaide agit au sein d’un organisme gouvernemental encore jeune, fondé en 2020. L’objectif affiché de l’agence est ambitieux : coordonner les politiques publiques, encadrer les initiatives privées, associatives et institutionnelles, et favoriser la valorisation de tous types de déchets pour protéger l’environnement et garantir un cadre de vie sain aux citoyens comoriens.
Sur le terrain, toutefois, l’ANGD peine encore à s’imposer comme un acteur structurant. À Mohéli, grâce à un financement ponctuel, l’agence a mis en place un centre de gestion des déchets et acquis trois compacteurs pour débuter une activité d’exportation de plastique PET. Mais en l’absence de débouchés commerciaux identifiés et avec l’épuisement des fonds du projet initial, l’activité est aujourd’hui en pause, dans l’attente de nouveaux financements pour relancer l’initiative.
L’émergence de projets de gestion revalorisation des déchets

Said Bouhari Omar – Urahafu
À Anjouan, l’association Urahafu (Union des Ressources de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Environnement), créée en 2020, s’est d’abord concentrée sur les enjeux agricoles et halieutiques. Elle a rapidement élargi son champ d’action à la gestion des déchets, en fédérant, à l’image de la KADEF à Mohéli, une dizaine d’associations communautaires mobilisées pour la propreté de leur quartier.
Said Bouhari Omar, technicien au sein de l’association, pilote plusieurs projets de valorisation locale des déchets. Parmi les expérimentations : la fabrication artisanale de pavés en plastique recyclé ou encore la production de charbon à base de carton. Ces initiatives peinent encore à trouver un modèle viable et durable, mais deux nouveaux projets en cours semblent plus prometteurs : la conception de brûleurs fonctionnant à l’huile usagée et le développement de systèmes de séchage solaire pour la conservation des mangues.

Nassim Ali – Recyvie
Fondée en 2024 à Mitsamiouli (Grande Comore) par trois jeunes entrepreneurs comoriens, Recyvie est la première entreprise privée à obtenir un contrat municipal de gestion des déchets pour une commune de 15 000 habitants, où chaque foyer contribue à hauteur de 3 € par mois. Grâce à deux camions et deux moto-bennes, l’équipe assure la collecte des déchets, propose des services de conseil aux entreprises, et développe un atelier de recyclage local installé dans un conteneur équipé (compacteur, broyeur, fondoir et matériel de menuiserie).
Hébergée sur le site du parc photovoltaïque d’Innovent, l’entreprise bénéficie d’un accès à l’énergie et d’un encadrement solide. La mairie lui a également mis à disposition un terrain pour créer une décharge contrôlée, où les déchets seront brûlés à l’air libre, dans le but de mettre fin aux dépotoirs sauvages en bord de route. Mais cette solution, jugée transitoire, ne satisfait pas entièrement Nassim, qui s’investit surtout dans la valorisation matière.
Avec plus de 80 000 € investis dans l’équipement, Recyvie ambitionne de produire du mobilier en plastique recyclé. Les premières pièces, encore à l’état de prototype, ont été réalisées avec l’appui des équipes de Plastic Odyssey lors de leur escale. L’entreprise emploie aujourd’hui 8 personnes à plein temps.

Clément Robert – Naipenda
À Anjouan, l’ONG Naipenda, appuyée par PartnerAid et financée par l’ambassade de France, explore depuis 2015 des solutions innovantes de valorisation du plastique, en particulier via la pyrolyse. Après avoir expérimenté des machines artisanales inspirées de Precious Plastic (broyeur, extrudeuse, presse à plaques), l’équipe se concentre aujourd’hui sur un projet ambitieux : transformer les déchets plastiques en carburant alternatif destiné aux distilleries d’ylang-ylang.
Porté par Clément Robert, ingénieur français, aux côtés de Muslim, jeune ingénieur comorien, Naipenda a conçu un premier prototype local de pyrolyse capable de traiter jusqu’à 50 kg de plastique par jour avec un investissement de moins de 2 000 €. Ce prototype a été développé avec l’aide de chaudronniers locaux, habitués à fabriquer les distillateurs traditionnels d’ylang-ylang. L’équipe compte aujourd’hui 8 personnes, et ambitionne de renforcer cette technologie low-tech afin d’en faire une solution viable pour les filières locales d’énergie.

David Bourgeaux – Ecopaf
Sur Grande Comore, Ecopaf est une jeune entreprise fondée en 2024, spécialisée dans la fabrication locale de pavés autobloquants, parpaings, briques et revêtements muraux en ciment. Déjà rentable grâce à ses activités traditionnelles de construction, l’entreprise s’interroge aujourd’hui sur la possibilité d’intégrer le plastique recyclé dans ses produits.
Engagé dans la transition écologique et préoccupé par la pollution plastique omniprésente sur l’île, David Bourgeaux, cofondateur, a rejoint le programme pour découvrir les techniques de traitement des déchets et évaluer la faisabilité d’une ligne de recyclage dédiée à la fabrication de pavés en plastique. Ce projet pourrait constituer une évolution stratégique pour l’entreprise, en alliant impact environnemental et savoir-faire industriel.

Mahmoud M. Aboubacar – Bioylang Comores
Ancien diplomate comorien, Mahmoud M. Aboubacar a représenté les Comores à l’ONU et participé à de nombreuses Conférences des Parties (COP) sur le climat. Après plus de quinze ans à observer les débats internationaux sur la durabilité, il a décidé de passer à l’action sur le terrain, en devenant entrepreneur à Grande Comore.
Il reprend une distillerie d’ylang-ylang, en adoptant une approche innovante à contre-courant des pratiques traditionnelles : il remplace l’usage du bois comme source d’énergie par du kérosène, dans le but de limiter la déforestation sur l’archipel. Désormais, il ambitionne de diversifier ses activités avec la production de savon liquide à destination du marché local, et a rejoint le programme OnboardLab pour identifier des solutions de recyclage adaptées à ses futurs déchets plastiques.

Housni Soule Mohamed – 2mains
Fondée en 2006, 2mains est la seule association comorienne solidement implantée sur les trois îles de l’archipel. Elle intervient dans trois domaines clés : l’agriculture durable, l’accès à l’eau potable et la gestion des déchets. En 2017, elle lance un projet pilote ambitieux de gestion décentralisée des déchets à Mohéli et Grande Comore, soutenu par l’ambassade de France, la GIZ, l’Union européenne et le gouvernement japonais, pour un budget total de 700 000 €.
2mains s’y positionne comme appui opérationnel au ministère de l’Environnement, afin d’assurer le fonctionnement du futur centre de traitement des déchets. Un site est alors identifié et équipé de deux presses à balles et de broyeurs. Le Japon fournit des triporteurs, et dès 2019, la collecte commence progressivement. L’équipe met en place des bornes d’apport volontaire, co-conçues avec des jeunes des quartiers. Malgré l’espace limité qui freine leur déploiement, les premières installations rencontrent un véritable succès populaire. Les habitants respectent les consignes de tri, jusqu’à une crise de collecte municipale : deux semaines sans ramassage, et les bacs pleins se transforment en points noirs, recouverts d’ordures. Ce revers illustre la fragilité du système, surtout en l’absence de débouchés commerciaux pour la matière collectée. Le projet s’arrête après un peu plus d’un an.
Face à cette impasse, l’association décide de développer une filière de valorisation locale. Grâce à 50 000 € supplémentaires, elle lance une initiative de fabrication de pavés en plastique recyclé. Un four artisanal est construit, avec une cheminée, pour fondre un mélange de plastique et de sable (14 kg de sable pour 10 kg de plastique). Le mélange est réalisé manuellement, puis coulé dans des moules et laissé à sécher à l’air libre. Pour alimenter le four, 2mains utilise des briquettes faites maison à partir de sciure de bois et de carton, un savoir-faire développé dans un projet antérieur. Le travail reste pénible : seulement deux fournées par jour, insuffisant pour assurer la viabilité économique du centre.
L’activité cesse définitivement en 2021, mais 2mains continue d’entretenir le site dans l’espoir de relancer la production et faire renaître la filière.

Aincha Aboubakar – UICN
Originaire de Mohéli, Aincha Aboubakar est une comorienne engagée, d’abord active dans des initiatives communautaires de nettoyage de quartier. Elle a ensuite développé des pratiques artisanales zéro déchet : tressage de plantes locales, techniques de conservation des aliments, couture de sacs à partir de textiles de seconde main.
Aujourd’hui National Project Officer de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) aux Comores, une organisation internationale dédiée à la conservation de la biodiversité et à l’utilisation durable des ressources naturelles, elle supervise notamment le programme Island Plast, qui soutient la mise en place de filières de collecte des déchets plastiques à l’échelle de l’archipel. Les appels à projets de ce programme viennent récemment de se clôturer.
Représentante locale de l’UICN, elle profite de la formation OnboardLab pour rencontrer les acteurs du terrain, mieux comprendre leurs réalités et renforcer ses propres compétences pour soutenir des solutions concrètes et adaptées.
Une dynamique inter-îles pour amorcer le changement
Le transport inter-îles des entrepreneurs a été pris en charge par la COI (Commission de l’océan Indien) et le Pacte Vert, permettant à des porteurs de projets venus des trois îles de l’Union des Comores de se retrouver à Anjouan, où le bateau-laboratoire de Plastic Odyssey était stationné. Cette logistique a permis d’assurer une représentativité nationale et de favoriser les échanges entre des acteurs parfois isolés sur leur territoire.
Pendant quatre jours de formation intensive à bord, les participants ont pu découvrir plus de 150 initiatives de recyclage déjà rencontrées par Plastic Odyssey au cours de son expédition autour du monde. Ces moments ont aussi été l’occasion pour les entrepreneurs de mieux se connaître, d’échanger sur leurs expériences et d’identifier les synergies possibles dans le paysage encore émergent de la gestion des déchets aux Comores.

Les sessions théoriques en salle ont alterné avec des ateliers pratiques dans l’atelier de recyclage embarqué, couvrant toutes les étapes : identification des plastiques, broyage, extrusion et assemblage à l’aide d’outils de menuiserie. À l’issue de ces ateliers, le groupe a réussi à fabriquer collectivement un banc et une chaise qui viendront équiper les bureaux de l’AFAM.
Les échanges ont aussi eu lieu hors du navire : les participants ont visité le projet de pyrolyse développé par Naipenda, ainsi qu’un site local de transformation du plastique pour la fabrication de tuyaux PVC, illustrant le potentiel industriel de la plasturgie locale.
Enfin, lors de la dernière journée, le groupe a pris part à une opération de nettoyage collectif, un moment symbolique qui a permis de souder les participants tout en initiant concrètement le passage à l’action.
De cette session sont nées de nombreuses idées et plusieurs projets structurants, fruits de la réflexion collective. Ceux-ci pourront désormais bénéficier des appels à projets en cours et à venir dans la région, pour passer de l’expérimentation à la mise en œuvre concrète.

OnBoard Laboratory, notre programme d’incubation à bord du navire pour les entrepreneurs du recyclage
À chaque escale de l’expédition, le navire Plastic Odyssey accueille à bord plusieurs entrepreneurs locaux du recyclage pour échanger et développer des solutions concrètes pour lutter contre la pollution plastique.