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Journal de bord de la première traversée du Plastic Odyssey (Partie 3)

La première semaine de navigation touche à sa fin pour le Plastic Odyssey. Le navire continue son voyage, direction Saint-Nazaire. Partie 3.

Récit d’une traversée entre Dunkerque et Saint-Nazaire

par Alexandre Dechelotte, CCO et co-fondateur de Plastic Odyssey

Premier jour de l’année 2022, premier voyage pour le navire Plastic Odyssey. Après de nombreux reports, les conditions du départ sont enfin réunies. C’est une nouvelle qui fait du bien à toute l’équipe : voir le navire voguer après de si long mois en chantier rassure et gonfle le moral des troupes ! Cette navigation a une saveur toute particulière car son objectif est d’atteindre le port de Saint-Nazaire le plus tôt possible pour y commencer… son nouveau chantier ! Le dernier. Car après plus d’un an et demi à être rénové entre les mains expertes du chantier naval Damen à Dunkerque, le navire va maintenant subir sa dernière opération : le changement d’un ballast complet dont l’usure a été découverte lors d’une intervention il y a quelques mois. Une zone qui n’avait jamais été visitée en plus de 40 ans de vie de ce navire : une chance que cette faiblesse ait été diagnostiquée avant le grand départ.

>>>  Lire la partie 1  <<<
>>>  Lire la partie 2  <<<

Mercredi 5 janvier 2022

Après une journée entière passée dans le train, j’arrive enfin à Cherbourg. Il pleut dru sur le port. J’escalade une grille qui me sépare du quai et atterris de l’autre côté, dans la boue. Après les TGV, ça met tout de suite dans l’ambiance. Ça fait du bien de sortir de son écran d’ordinateur et de remettre les pieds à bord.
Dans mon sac, j’ai emporté tout le matériel nécessaire pour faire des images. J’assisterai Louis dans son quart cette nuit. Louis est lieutenant depuis plus de deux mois à bord, c’est un copain de promo de l’école de la Marine Marchande et je suis très content de le revoir après plus de 5 ans, qui plus est sur notre navire ! Il connaît le bateau par cœur maintenant, et moi je n’ai pas navigué depuis longtemps. Je m’en donc remets à lui pour reprendre mes marques.

Olivier, le commandant, nous briefe pour la manœuvre de départ : l’appareillage prévu initialement à 23h30 est avancé à 22h30, car nous devons garder les moteurs à faible charge. Le courant sera portant après le cap de la Hague et nous poussera vers Saint-Malo la deuxième partie de la nuit.
Répartition des quarts :

  • Olivier, commandant : du départ jusqu’à 00h00
  • Louis, lieutenant : de 00h00 à 04h00
  • Hugues, second : de 04h00 à 08h00
  • Olivier : de 08h00 à l’arrivée

22h30
Deux échanges par VHF avec la vigie du port de Cherbourg et c’est le départ. Je ne peux que constater l’expérience de chaque membre d’équipage à bord : tout s’enchaîne parfaitement, chacun à son poste réalise des gestes précis et efficaces. Que ça fait du bien de sentir le bateau bouger sous mes pieds… Il navigue enfin !
À bord de tous les navires du monde, les échanges en passerelle lors des manœuvres suivent la même mélodie : le chef de quart (en l’occurrence le commandant ici) énonce un angle de barre au barreur4, qui le répète à haute voix et l’exécute. Enfin, dès que la barre arrive à l’angle choisi, le barreur l’annonce et le commandant accuse réception. Cela donne :

Commandant : « À gauche 10 »
Barreur : « 10 à gauche », puis « la barre est 10 à gauche »
Commandant : « Zéro la barre »
Barreur : « Zéro la barre », puis “ la barre est à zéro »
Commandant : « Comme ça »
Barreur : « Comme ça »

Et ainsi de suite jusqu’à ce que le chef de quart décide de basculer sur l’auto-pilote. Cette opération s’effectue une fois que le navire atteint une vitesse suffisante et qu’il se trouve en zone de sécurité.
Voilà comment, en quelques minutes seulement, nous sommes clairs des digues du port de Cherbourg et faisons route vers le cap de la Hague au Nord du Cotentin.

00h00
Louis prend le quart. La relève de quart est un autre moment important effectué de la même manière sur tous les navires. Le chef de quart sortant transmet toutes les informations au chef de quart entrant en commençant par la position, le cap, les navires environnants ou les dangers potentiels identifiés, puis la météo, la vitesse des moteurs, les prochains événements à prévoir comme les appels radio à effectuer ou le prochain point tournant prévu sur la route, ou toute autre information utile à la navigation.
La fin de cette étape est marquée par le nouveau chef de quart qui annonce fort et clair “ Je prends “, confirmé par le sortant par “ À vous le soin “. C’est à ce moment que les responsabilités sont transférées. Un système d’enregistrement sonore similaire à la boîte noire des avions permet de retracer les échanges en passerelle en cas de problème. C’est pour cette raison qu’il est important d’énoncer haut et fort les actions effectuées et de marquer le changement de quart.
Le quart se déroule dans le calme et sous un ciel magnifiquement étoilé. On échange des nouvelles de nos anciens copains de promotion que l’on a pour certains perdu de vue depuis longtemps. Ces échanges interrompus par les bulletins météorologiques réguliers, le ronronnement doux des moteurs, le sifflement du vent… je réalise que cette ambiance si particulière du quart de nuit m’a manqué. On est tellement loin de la cohue de la journée type que l’on vit depuis le lancement du projet : mails, réunions téléphoniques, échéances et urgences en tout genre. Je ne sais plus dire qui du sédentaire ou du marin est le plus routinier.

04h00
Passage de la Déroute. C’est un moment critique de la traversée : des hauts fonds entre les îles anglo-normandes et les côtes de la Manche dans une zone où les courants battent des records de vitesse avec des marnages pouvant atteindre 14 mètres, cela mérite bien que l’équipage au complet soit sur le qui-vive. Les ancres sont dessaisies pour nous permettre de réagir en cas de problème, le commandant Olivier est en passerelle, et la barre est passée en mode manuel entre les mains expertes de Hugues.
La dérive est surveillée avec attention mais grâce aux calculs de Louis, nous passons à l’étale de basse mer ce qui limite les courants au minimum. Les conditions sont parfaites, la mer est calme et le vent très faible. Au sondeur, nous relevons au minimum 9 mètres de hauteur d’eau. Plus que suffisant pour le Plastic Odyssey qui a un tirant d’eau de 3,4 mètres. Nous avons réduit la vitesse car dans ces zones de hauts fonds, le navire peut être soumis à l’effet de squat5.

05h10
Je m’allonge quelques instants à l’arrière de la passerelle dans ce qui nous servira bientôt d’espace de réunion. Hugues continue son quart dans une zone dépourvue de dangers, cap plein Sud. Nous sommes attendus pour 10h08 dans l’écluse du Naye afin d’entrer dans le port de Saint-Malo avec la marée. Un peu de repos avant les premières lueurs du jour qui me permettront, j’espère, de faire quelques belles images.

08h20
Une première dans la courte histoire des navigations du Plastic Odyssey : nous sommes en avance ! Les moteurs ont tourné à faible régime mais sans encombre et la marée nous a bien aidé. Nous voilà en attente devant le chenal d’entrée du port de Saint-Malo pour attendre l’ouverture de l’écluse.

10h10
Enfin amarré dans l’écluse. En accostant, l’ancre tribord a touché le quai. Un peu de bruit mais aucun dégât. Ouf !
Presque aussitôt, la porte Est de l’écluse s’ouvre devant nous et nous larguons les amarres pour entamer notre manoeuvre dans le bassin Vauban et nous présenter devant le quai Saint-Louis.

10h20
Évitage6 en cours par bâbord. Sans propulseur d’étrave mais dans de très bonnes conditions météo, Olivier et Hugues approchent doucement le quai et permettent aux plages de manœuvres avant et arrière d’envoyer leur toulines à terre facilement. Les gardes7 avant et arrière sont capelées8 d’abord pour régler la position longitudinale du navire. Ensuite, deux pointes9 et enfin deux traversiers10 sécurisent la distance du quai et verrouillent la position du navire.


Le navire Plastic Odyssey à quai, à Cherbourg de nuit


Olivier, Capitaine du Plastic Odyssey


Louis, Lieutenant du Plastic Odyssey


Hugues, Second du Plastic Odyssey


Alexandre, CCO et co-fondateur de Plastic Odyssey

4 Cet ordre signifie qu’il faut maintenir le dernier cap à la barre.
5 L’effet de squat ou d’accroupissement est généré par les flux d’eau qui accélèrent sous la coque quand le fond est relativement proche de la quille. Il peut provoquer un enfoncement léger du navire, augmentant ainsi un risque d’échouage.
6 manœuvre de rotation du navire.
7 amarres positionnées de l’avant vers l’arrière ou de l’arrière vers l’avant pour stopper les mouvements du navire sur l’axe longitudinal.
8 passées dans les bolars situées sur le quai.
9 amarres positionnées de l’avant vers l’avant et de l’arrière vers l’arrière pour maintenir le navire en position par rapport au quai.
10 amarres perpendiculaires au navire qui permettent de régler la distance entre le quai et le bordé.

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